A. Par un jour d'orage...

Steph était un chauffeur de taxi comme on n’en trouve plus. Depuis le temps qu’il exerçait, presque toute sa clientèle faisait partie de ses habitués. Ils avaient leur jour, leur heure et leur trajet bien définis comme Madame Rousset pour faire ses courses à l’hypermarché une fois par semaine, monsieur Dumont pour se rendre à sa dialyse. Il effectuait aussi de longues distances vers des résidences de villégiature, des accompagnements à la gare ou à l’aéroport.
Il adorait son métier parce qu’il aimait les gens. Il était attentif à leur bien-être. Il connaissait leurs goûts jusqu’à sélectionner  les musiques de chacun dans son auto-radio. Dans le coffre de son auto, il avait toujours une glaciaire avec des bouteilles d’eau et une trousse de secours.
Quand il arrivait à destination, il s’empressait de sortir de son véhicule, d’ouvrir la portière du passager, de prendre son sac ou sa valise, de l’accompagner s’il fallait, bref, ceux qui l’avaient pratiqué une fois s’en souvenaient et le réclamaient. Certains même ne voulaient que lui.

Ce jour-là, lorsqu’il aida madame Rousset à rentrer ses courses, elle lui proposa un café. Il s’assit à la table de sa cuisine qu’il connaissait bien puisqu’il y déposait chaque semaine ses sacs de provisions. Le temps était à l’orage, un gros nuage sombre s’était installé au-dessus des maisons. Soudain, un éclair fendit le ciel, suivi d’un violent coup de tonnerre qui claqua tout près de la fenêtre que madame Rousset s’empressa de fermer. En même temps les plombs sautèrent et madame Rousset fut contente que Steph soit là car elle ne savait pas ce qu’il fallait faire. Elle lui indiqua que le disjoncteur était à la cave en lui tendant une lampe de poche.
Steph descendit l’escalier et arriva dans un invraisemblable capharnaüm. Il fallait se frayer un chemin entre une telle accumulation de meubles disparates et d’objets. Du plafond pendaient quantité de toiles d’araignée et la poussière semblait être installée depuis longtemps. Son regard fut alors attiré par des étagères encombrées de vieux livres. Il n’avait jamais vu de planches de bois ployer ainsi sous la quantité de volumes mais aussi à cause de l’humidité. Certains livres étaient recouverts de salpêtre et offraient une image de désolation, Steph en eut le coeur serré.

Il actionna le disjoncteur, l’ampoule du plafonnier s’alluma et il remonta. Solange Rousset le remercia chaleureusement et le chauffeur de taxi ne put s’empêcher de lui avouer qu’il avait été surpris d’un tel désordre dans sa cave.

Je sais, répondit-elle, mais depuis la mort de mon pauvre Joseph je n’y suis plus redescendue, j’ai peur. Pourtant il faudrait que j’y fasse du ménage, il y a tant  de choses dont je devrais me débarrasser.

Aussitôt, Steph, bon samaritain, lui proposa de l’aider si un jour elle décidait de s’y mettre. Solange accepta volontiers et il fut convenu qu’ils le feraient le dimanche suivant.

Il arriva tôt avec la fourgonnette qu’un ami lui avait prêtée. La plupart des affaires  furent entreposées dans une grange où serait organisé un vide-grenier. Cela rapporterait quelques sous à Solange. Ce qu’elle n’avait pas prévu, c’est que, lors de la vente, parmi les visiteurs se trouverait un éminent spécialiste de livres anciens et qu’au milieu de ceux qui moisissaient sur les étagères prêtes de s’écrouler dans la cave se trouvait un trésor. Le graal du bibliomane qui rapporta une coquette somme que Solange partagea avec Steph.

La vie, c’est ce qui vous arrive alors que vous étiez en train de prévoir autre chose.